Manifeste de l'hypermonde (suite)
Depuis Platon, l'homme s'est souvent posé
la question de savoir si que lui transmettaient ses sens existait
réellement, indépendamment de lui, ou bien si tout n'était
qu'ombres sur le mur de la caverne.
Et ce n'est pas la physique moderne qui a supprimé cette
interrogation métaphysique ! Au contraire, p:uisque le réel,
qui paraissait cerné dans l'infiniment petit, s'est dérobé au
dernier moment, prétendant n'exister qu'en fonction de
l'instrument de mesure.
Et certains scientifiques de se demander très sérieusement si
le monde existerait sans l'homme pour le penser. Un peu comme les
jeux de rôle qui n'existent que dans notre esprit, lorsque nous
les parcourons.
Autrement dit, ne serions-nous pas entourés seulement d'un
hypermonde? Examinons la question en scrutant le réel, depuis
l'infiniment petit jusqu'au silence des espaces infinis.
Le moins que l'on puisse dire concernant la matière, c'est qu'en
dernière analyse, elle est de plus en plus curieusement
inconsistante. Ou alors il s'agit d'une
"hyperconsistance", d'une existence virtuelle, à la
fois onde et particule, ou plutôt faisceau d'ondes se
matérialisant parfois en particule.
Diable ! Encore que le pauvre diable n'ait rien à voir
là-dedans. Simplement, comme disait Einstein: "... sans
être méchant, Dieu est parfois un peu compliqué...".
Quant à l'astrophysique, ce n'est guère mieux. Il y a du
virtuel partout, des trous noirs aux ondes gravitationnelles
(comment une onde sans masse peut-elle attirer ?) et de ce qu'il
y avait avant le big bang à un infini en proie à des
pulsations. L'univers soi-disant réel n'est au mieux que
"conçu", cela a partir de signaux émis il y a des
millions d'années, par des "apparences" situées à
des millions d'années-lumière, et qui ont de plus sans doute
disparu depuis.
Dans tout cela, quelle différence entre un radiotélescope et un
casque ludique? Aucune, sinon que, de temps en temps, un
astéroïde tome "réellement" sur la Terre, de même
qu'au moins en probabilité, on peut faire des pronostics sur la
conduite des particules.
Mais, même dans ce cas, tout finit par n'exister que sur un
écran d'ordinateur, cette "étrange lucarne" ne
faisant que refléter un univers abstrait, et qui n'est bien
qu'une lointaine image virtuelle d'un soi-disant réel.
Alors, ne soyons pas étonnés par les jeunes et par leurs fuites
dans leurs hypermondes à eux, depuis le Game boy jusqu'à
Jurassic parc: nous sommes tous logés à la même enseigne. Et
ils ne font, comme d'habitude et comme il se doit, que précéder
les adultes encore un peu englués dans leur conception d'un
monde ayant un sens, qu'il s'agisse d'ailleurs des scientistes ou
de ceux qui croient à un Dieu ayant des vues sur nous.
Car, si Dieu il y a, et pourquoi ne pas appeler comme cela le
fait qu'il y a indubitablement quelque chose, c'est un hyper-Dieu
par rapport auquel nous sommes bien en peine de nous situer.
Ce que l'on peut craindre, en effet, c'est que notre pauvre
intellect, développé à partir de notre cerveau reptilien, soit
radicalement incapable de dépasser la petite logique utilitaire
cause-effet de ses origines animales: supprimer l'ennemi et
assurer le beefsteak ou le partenaire sexuel.
En réalité, tout ce qui est à comprendre de ce monde
incompréhensible est là, étalé sous nos yeux, mais
inconcevable pour nous. Comme le serait pour une fourni, selon
l'image célèbre, un char romain l'écrasant en allant porter à
Rome la nouvelle de la victoire sur les Gaulois.
Alors ? Alors rien ! Sinon qu'adhérer au Club de l'hypermonde
est la seule attitude "réaliste", parce que c'est sans
doute là, petit à petit, dans l'acceptation humble de notre
cécité totale, qu'un jour nous passerons de l'état de fourmi
écrasée à celui de conscience de l'Univers que nous
revendiquons un peu vite aujourd'hui. Cela, peut-être en
réussissant enfin à trouver le bon bouton sur le casque
d'images virtuelles que nous portons déjà sur la tête sans le
voir, et que nous avons jusqu'à maintenant affublé de noms de
divers mystères, divins en général, pur ne pas nous sentir
orphelins du Père.
Et ce jour là, au lieu d'imaginer Dieu à notre image, avec des
petites idées humaines, trop humaines, de libre arbitre et
autres anthropomorphismes, nous serons branchés sur, sur... ce
qui est à l'ordre du jour de la prochaine réunion du Club de
l'hypermonde.